Le vice-Premier ministre en charge des Affaires étrangères du Kosovo, Monsieur Behgjet Pacolli, a démarré une tournée en Asie pour tenter d’obtenir la reconnaissance de son pays par plusieurs Etats membres de l’Organisation de coopération islamique (OCI). Il a pris part le 5 et 6 mai dernier à la réunion des dirigeants de l’Organisation qui s’est tenue à Dacca, au Bangladesh.
Les pays musulmans divisés sur la reconnaissance du Kosovo
L’OCI est une organisation confessionnelle intergouvernementale créée en septembre 1969 avec l’ambition d’être le porte-voix du monde musulman. Le Kosovo, où 90 % des habitants se déclarent musulmans, n’est pour l’heure ni membre de l’organisation ni reconnu par l’ensemble de ses 57 Etats. En effet, le cas de cette province sécessionniste de Serbie divise le monde musulman : seuls 36 des 57 Etats de l’OCI reconnaissent son indépendance. Plusieurs membres s’y opposent catégoriquement (Algérie, Iran, Iraq, Kazakhstan, Liban, Maroc, Tunisie, etc.) sans un accord préalable de Belgrade.
Toutefois, la politique étrangère du Kosovo concentre tous ses efforts pour amplifier le mouvement de reconnaissance du pays et développer les adhésions aux organisations internationales (ONU, OTAN). Le ministre kosovar avait ainsi rencontré, à cet effet, ses homologues membres de l’OCI pour les convaincre de transformer leur sympathie pour les musulmans de son pays en une reconnaissance.
De la guerre du Kosovo à l’indépendance
Peuplé de 1,8 million d’habitants, dont 90 % se revendiquent comme ethniquement albanais, le Kosovo a connu des appartenances multiples tout au long de son histoire. A la chute de l’Empire ottoman, le territoire devient une province du Royaume de Serbie, en 1912. Brièvement rattaché à l’Albanie durant l’occupation italienne (1941-1945), le Kosovo en tant que province autonome est réintégré, pendant la guerre froide, à la Serbie qui constituait alors l’une des six Républiques socialistes de l’ex-Yougoslavie.
A la suite de la mort de Tito, en 1980, la remise en cause de son statut d’autonomie par Slobodan Milošević en 1989 provoque une puissante résistance de la société kosovare. Après l’échec de la conférence de Rambouillet et face au risque de nettoyage ethnique, l’OTAN intervient en 1999 dans la guerre qui opposait l’armée de libération du Kosovo (l’UÇK) et les forces serbes. La province passe alors sous administration de l’ONU. Neuf ans plus tard, elle proclamait son indépendance unilatérale le 17 février 2008, lors d’un acte jugé conforme au droit international par la Cour internationale de justice (CIJ) dans un avis du 22 juillet 2010 [1].
Pour autant, la Serbie qui considère le Kosovo comme le berceau historique et spirituel de sa nation, reste fermement opposée à l’indépendance de son ancienne province. Sa position est relayée au Conseil de Sécurité de l’ONU par son allié russe, ce qui rend de fait improbable toute adhésion kosovare dans un futur prévisible.
Etat des lieux sur la reconnaissance internationale de la République du Kosovo
Le 17 février 2018, le Kosovo fêtait ses dix ans d’indépendance. Le pays n’est pas la première collectivité infra-étatique composée d’une minorité ethnique, religieuse ou culturelle à déclarer son indépendance mais contrairement aux précédents historiques (Haut Karabagh et Ossétie du Sud, Transnistrie, Abkhazie etc.), sa reconnaissance par 114 Etats [2] constitue une réelle originalité.
Néanmoins, son statut continue de diviser la communauté internationale, entre les partisans du respect de l’intégrité territoriale de la Serbie (faisant souvent eux-mêmes face à l’irrédentisme), et les capitales estimant que le droit international, comme précisé par l’avis de la CIJ, n’interdit pas juridiquement la sécession [3]. Ces divisions se retrouvent au sein de l’UE où le Kosovo est reconnu par 23 des 28 Etats membres. Chypre, l’Espagne, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie refusent en effet toute reconnaissance pour des raisons de politique intérieure (séparatisme catalan, minorité hongroise en Roumanie et Slovaquie, division de l’île de Chypre).
Vers une normalisation des relations avec Belgrade ?
Le Kosovo est reconnu par tous ses voisins (Monténégro, Albanie, Macédoine), à l’exception de la Serbie. Or, la normalisation des relations avec Belgrade reste une précondition pour avancer sur la question de la reconnaissance internationale, notamment par les pays musulmans encore réticents. C’est également un impératif pour progresser vers l’intégration euro-atlantique.
Un accord historique de normalisation des relations bilatérales a été trouvé en 2013 sous l’égide de l’Union européenne. Cet accord dit de « Bruxelles » a notamment permis d’organiser la gouvernance du Nord Kosovo où vivent 40 000 Serbes hostiles à l’indépendance [4]. Malgré les avancées à travers la mise en place d’une police multiethnique, des tensions réapparaissent régulièrement, en particulier dans la ville de Mitrovica, où la rivière Ibar sépare symboliquement le sud majoritairement albanais du nord majoritairement serbe. Dans ce contexte, les incidents sporadiques qui peuvent éclater invitent à redoubler d’efforts pour maintenir le dialogue politique bilatéral indispensable pour atteindre une paix durable dans les Balkans occidentaux.
Image : Painting the New Born for 5th anniversary of Kosovo. By Donikanuhiu, Wikimedia Commons CC BY-SA 2.0.
[1] La CIJ a été saisie par l’Assemblée générale de l’ONU, à la demande de la Serbie.
[2] Le Suriname et le Burundi ont reconnu le Kosovo dans un premier temps mais sont revenus sur leur décision.
[3] Certains juristes ont également invoqué la théorie de la sécession remède (remedial secession) pour soutenir l’indépendance du Kosovo : selon cette théorie, toute communauté infra-étatique pourrait, en cas de violations graves et systématiques de ses droits, faire légitimement acte de sécession.
[4] Au total, 110 000 Serbes vivent au Kosovo : 40 000 dans le Nord et environ 70 000 dans le reste du pays. Contrairement à leurs compatriotes du Nord, les Serbes vivants au Sud de la rivière Ibar semblent accepter, d’après les enquêtes, l’appartenance au Kosovo.