Le royaume saoudien est au centre de l’actualité, comme en témoignent les répercussions de l’affaire Jamal Khashoggi. Mais, peut-être plus que cette éclaboussure sur l’image d’une Arabie Saoudite « moderne », le traitement des réfugiés, notamment Rohingyas, risque de ternir durablement le leadership sunnite du royaume.
Les Rohingyas, une minorité oubliée ?
L’épineuse question des réfugiés ne cesse de se poser. En effet, le royaume continue de refouler des centaines de Rohingyas. Ce refus contraste fortement avec la vision saoudienne d’une solidarité sunnite. Depuis 2017, la détresse des Rohingyas a été particulièrement diffusée à la suite de la médiatisation des massacres commis par le gouvernement birman. Ce groupe ethnique de religion musulmane vivant principalement dans le nord de l’État d’Arakan, à l’ouest de la Birmanie, a été contraint à de massifs exodes depuis 2017. Les pays voisins, à l’image de l’Inde et du Bangladesh, ont dû y faire face.
Ce refus d’accueillir une population de réfugiés musulmans peut surprendre de la part de l’Arabie Saoudite alors en pleine « reconquête symbolique ». Elle n’est pour autant pas inédite. A la suite de l’éclatement de la guerre civile syrienne en 2011, le royaume avait refoulé de nombreux Syriens. L’Etat saoudien n’est pas, en effet, tenu par les engagements conventionnels en la matière.
Pour autant, il poursuit une active politique humanitaire. Celle-ci recherche principalement à prévenir les mouvements de réfugiés, en fournissant moyens humains et matériels dans les territoires en crises. Ainsi, le premier secrétaire de la mission permanente de l’Arabie Saoudite à New York, Fahed Obaidullah Al-Mutairi, a déclaré, en octobre 2018, que son Etat cherche à soutenir les Rohingyas, en appuyant à hauteur de 50 millions de dollars les programmes de réhabilitation liés à l’éducation et à la santé. Il a également confirmé la présence d’un quart de million de Rohingyas dans le royaume.
Des considérations sécuritaires et économiques prédominantes
Ce refus d’accueil peut s’expliquer par différentes raisons. Ainsi, le facteur religieux n’est pas toujours prédominant dans les politiques menées par cette théocratie. Le facteur sécuritaire est un impératif dans cette région touchée par trois conflits quasi-permanents : le conflit israélo-palestinien, syrien et yéménite. Le rapprochement avec Israël, depuis l’accession au pouvoir de MBS, le démontre bien. Il s’agit de contrôler la population saoudienne dans un contexte de lutte contre le terrorisme. L’Etat islamique est éclaté en plusieurs groupuscules prêts à « venger » le temporaire Etat. De même, la menace posée par les Houthis au sud renforce un durcissement de politiques d’accueil.
A court terme, une alliance économique entre le régime birman et l’Arabie Saoudite est en jeu. Il s’agit, en effet, de se positionner durablement comme fournisseur principal en hydrocarbures de la Chine. Depuis 2013, un oléoduc a été mis en service pour relier la côte ouest birmane à la Chine. Il s’agit d’un accès direct et sûr pour le transport de pétrole entre l’Empire du Milieu et le Moyen-Orient. Et ainsi, d’un accès privilégié au marché chinois pour le royaume saoudien. A long-terme, le facteur économique joue également à l’heure où la rente pétrolière ainsi que la « manne » symbolique du Hajj commencent à s’estomper. La question d’un modèle de croissance durable se pose avec acuité : c’est tout l’enjeu du programme d’investissements massifs « Vision 2030 ».
Le royaume saoudien ne devrait pas sous-estimer les apports culturels et économiques que peuvent apporter l’immigration. Les autres Etats du Golfe ont assimilé ces potentiels moteurs de croissance durable. Pour autant, ils n’ont pas encore réussi à garantir complètement un Etat de droit égalitaire envers leurs populations plurielles.
Image : Burma’s Rohingya, by United to end genocide, Flickr CC BY-NC-ND 2.0.