Jérusalem dans la Première Guerre mondiale
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en 1914, la Ville Sainte devient un enjeu symbolique plus que stratégique. Située au carrefour du Proche-Orient, elle attire les convoitises des puissances européennes comme la Grande-Bretagne. Elle cherche à affaiblir l’Empire ottoman allié de l’Allemagne. Entre 1914 et 1918, Jérusalem, placée sous la loi martiale, connaît la faim, les privations et la peur. Elle finit par tomber tomber aux mains des troupes britanniques du général Allenby en décembre 1917. Cette conquête marque la fin de plusieurs siècles de domination ottomane et ouvre une nouvelle ère pour la ville et toute la région, placée sous mandat britannique après la guerre.
Jérusalem, à la veille de la première guerre mondiale
Contrairement à l’image d’une Jérusalem éternellement figée et isolée du monde moderne, la Ville Sainte du début du XXe siècle est un espace en pleine mutation. La ville est traversée par les réformes ottomanes, les influences européennes et les initiatives locales.
Porte de Jaffa, vers 1910 (The American Colony)
À la veille de la Première Guerre mondiale, Jérusalem compte 70 000 habitants et est la plus grande ville de Palestine. Ville principale d’une sous-province autonome soumise directement à Istanbul depuis 1872, elle s’est agrandie en termes géographiques et démographiques, sortant progressivement des murailles de la vieille ville.
Une ville moderne
Jérusalem est dotée d’infrastructures modernes qui la lient à la région, et au-delà au reste du monde. La construction de routes carrossables (depuis 1869), du chemin de fer Jaffa-Jérusalem (1892), des lignes de télégraphes (années 1880) ainsi que l’installation de multiples bureaux de poste font d’elle une ville tournée vers le monde et vers l’avenir. En raison de son rôle de capitale provinciale et surtout de ville sainte, Jérusalem a une importance particulière aux yeux des réformateurs ottomans des Tanzîmât [1]. Ils voient en elle une ville modèle et une ville vitrine, ce qui a aussi pour conséquence d’ouvrir la voie aux aspirations politiques des élites locales. Ces dernières étaient déjà largement impliquées dans la gestion de la ville avant le processus de municipalisation de la gouvernance urbaine entamé dans les années 1860-1870 .
Au cœur de l’Empire ottoman
La municipalité de Jérusalem, fondée vers les années 1860, est l’une des premières de l’Empire ottoman. Multiconfessionnelle bien qu’à majorité musulmane, elle est « un acteur majeur de la modernisation de la ville en termes d’amélioration des infrastructures et en termes d’administration, tout en jouant son rôle de régulateur des conflits et de garant d’une certaine paix sociale ». Elle est « impliquée dans chaque aspect de la vie quotidienne des habitants : transport, habitat, eau, commerce, hygiène, santé, ordre public ou encore loisirs ».
Gare ferroviaire de Jérusalem, vers 1914 (The American Colony)
Empire ottoman et Empire allemand
Dès la fin du XIXe siècle, l’Empire ottoman et l’Empire allemand sont étroitement liés par des intérêts économiques puis progressivement par des intérêts militaires. Au début du XXᵉ siècle, l’Empire ottoman est déjà surnommé, « l’homme malade de l’Europe ». Il est affaibli par des pertes territoriales, une administration vieillissante et des révoltes internes. En 1908, la Révolution des Jeunes-Turcs tente de donner un nouveau souffle à l’État et de restaurer sa puissance, mais les tensions internes et les ambitions nationalistes persistent. Les ottomans cherchent à moderniser leur armée en suivant les modèles européens. Pour cela, ils accueillent plusieurs missions militaires allemandes comme celle, en 1913, du maréchal Otto Liman von Sanders.
Carte postale de la Première Guerre mondiale : les alliés, l’empereur Guillaume II, le sultan Mehmed V et François-Joseph Ier.
Alliance germano-ottomane
En juillet 1914, l’Empire ottoman demande à nouveau son adhésion à la Triple Alliance formée de l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie. Les nouveaux dirigeants ottomans cherchent des alliés capables de l’aider à restaurer la puissance de l’empire et à affirmer son indépendance face aux puissances occidentales. L’Empire allemand de son côté y voit l’opportunité de contrôler les routes orientales, d’ouvrir un second front contre la Russie et de menacer les colonies britanniques. Un traité est bien signé en août 1914 mais reste secret jusqu’en octobre : « il s’agit d’une alliance défensive dirigée contre la Russie (…) mais la Sublime Porte [2] ne peut guère éviter désormais de se laisser entraîner dans le conflit ».
La Palestine et Jérusalem dans la guerre
Loi martiale
Avec l’attaque surprise des installations russes de la mer Noire (Odessa, Sébastopol, Novorossisk) en octobre 1914, l’Empire ottoman entre officiellement en guerre. La Palestine devient alors un théâtre secondaire de la guerre. Elle connaît des destructions considérables et les conditions de vie de la population se dégradent rapidement. L’Empire ottoman qui n’a pas les moyens de son ambition s’épuise face au blocus et à l’étranglement économique menés par les Alliés. Dès août 1914, Jérusalem passe sous la loi martiale et connaît comme le reste de la région la mobilisation générale. Les hommes de moins de 45 ans et de toutes confessions sont alors mobilisables. « Les Chrétiens et les Juifs peuvent être exemptés par le paiement d’une taxe spécifique (badal ‘askarî), dont le niveau est si élevé que peu d’entre eux pouvaient effectivement s’en acquitter ».
Misère de la guerre
Le blocus anglo-français de la Méditerranée orientale, débuté fin 1914, limite les échanges commerciaux et entraîne une flambée des prix des denrées alimentaires. Dans le même temps, la population est soumise aux réquisitions militaires de toutes sortes. En 1915, les habitants de la région doivent faire face à une invasion massive de sauterelles. Elles ravagent les récoltes et aggravent considérablement la famine malgré les actions de bienfaisance organisées par la municipalité. La population doit alors faire face aux famines, aux restrictions, aux réquisitions, à l’inflation et aux épidémies.
Locust plague of 1915, American Colony in Jerusalem Collection (Library of Congress)
L’offensive britannique du Général Murray
À l’été 1916, la révolte arabe du Hedjaz dirigée par le chérif Hussein avec le soutien britannique compromet la domination ottomane sur la péninsule arabique. Dans le même temps, les troupes britanniques lancent une vaste offensive sur le Sinaï et la Palestine. Après avoir achevé la conquête du Sinaï, le général Murray tente de pénétrer à Gaza, mais les batailles du 26 mars et du 19 avril 1917 sont de retentissants échecs. Les pertes britanniques sont considérables et Murray est remplacé par le Général Allenby le 28 juin.
L’offensive du général Allenby
Fin octobre les troupes britanniques prennent Beer-Sheva, puis Gaza le 7 novembre et Jaffa le 16. Jérusalem est encerclée et le 9 décembre 1917, les autorités civiles et militaires de la ville présentent leur reddition. Deux jours plus tard et dans une pure mise en scène, le général Allenby entre solennellement à Jérusalem à pied. Il est suivi de son état-major, et des chefs des contingents français et italien dont François Georges-Picot et son assistant Louis Massignon. « Devant la citadelle de la ville, il fait lire en plusieurs langues la proclamation de la loi martiale : la ville et son voisinage resteront sous administration militaire tant que les circonstances l’imposent. La situation de l’ensemble des lieux saints ne sera pas modifiée ».
Reddition de Jérusalem, 9 décembre 1917, Library of Congress
Entrée du Général Allenby à Jérusalem, 11 décembre 1917,
Photo peinte, Musée d’histoire de Jérusalem
La prise de Jérusalem
La prise de Jérusalem marque un tournant symbolique, la ville sort de plusieurs siècles de domination ottomane et passe sous administration militaire britannique, prélude au mandat confié par la Société des Nations en 1920. Le front quant à lui se stabilise au nord de Jérusalem jusqu’à l’automne 1918. Le 19 septembre 1918, Allenby lance une nouvelle offensive. Il rompt le front, prend Nazareth et Naplouse le 21, puis Haïfa le 23. Damas tombe le 30 septembre, les Ottomans abandonnent toute la Syrie et le 25-26 octobre Alep est occupée. Le 30 octobre 1918, l’Empire ottoman signe l’armistice de Moudros (port de l’île grecque de Lemnos) qui met fin à la guerre au Proche-Orient.
Le Petit Journal, Une du 1er novembre 1918 (Gallica)
Terre Promise, Trop Promise
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, les Alliés cherchent à affaiblir l’empire ottoman et à obtenir le soutien des populations du Moyen-Orient. Pour y parvenir, ils multiplient les promesses politiques et territoriales contradictoires.
La Promesse d’un grand royaume arabe (1915-1916)
Au début de la Première guerre mondiale, la majeure partie du monde arabe est sous domination ottomane. Les Britanniques cherchent à provoquer des révoltes internes dans le but d’affaiblir l’empire ottoman de l’intérieur. Ils s’adressent au Chérif Hussein, gardien des Lieux Saints de la Mecque et figure respectée du monde arabe. Entre 1915 et 1916, de nombreuses lettres sont échangées entre le Chérif Hussein et Henry McMahon, haut-commissaire britannique en Égypte. Dans cette correspondance, les Britanniques promettent au Chérif Hussein, la création d’un grand royaume arabe indépendant constitué de l’Arabie, de la Syrie, de l’Irak et de la Palestine à condition qu’il se révolte contre les Ottomans. La « Grande Révolte arabe » de 1916, avec l’aide de l’émissaire britannique Lawrence d’Arabie, fait suite à ces promesses. Jamais tenues, elles alimentent un profond sentiment de trahison dans le monde arabe.
Soldats arabes en exercice arborant le drapeau aux couleurs panarabes (cliché pris entre 1916 et 1918) – Wikicommons
Pour en savoir plus sur le projet « Mille et un visages de Jérusalem », consultez notre page dédiée.
Les accords Sykes-Picot (1916)
Le 16 mai 1916 et en contradiction totale avec les promesses faites au Chérif Hussein, français et britanniques signent après des mois de négociation les accords Sykes-Picot [3]. Avec l’aval de l’Empire russe et du royaume d’Italie, cet accord agence un découpage des provinces arabes de l’Empire ottoman après la guerre. Le tout, au profit de la France et du Royaume-Uni. L’accord prévoit un découpage en zones d’administration directe et en zones d’influence tandis qu’une partie de la Palestine dont Jérusalem serait placée sous administration internationale.
Ces accords, perçus comme le symbole du colonialisme européen au Moyen-Orient, sont révélés en 1917 par les bolchéviques. Ils scandalisent le monde arabe. Après la guerre, le système des mandats reprend largement l’esprit de Sykes-Picot. (Mandat français sur la Syrie et le Liban, mandat britannique sur la Palestine, la Transjordanie et l’Irak). Le tracé de frontières artificielles, ignorant les réalités ethniques, religieuses et tribales locales sont une source de tensions durables dans la région.
Le tracé des accords Sykes-Picot, AFP.
La déclaration Balfour et la promesse faite au mouvement sioniste (1917).
En 1917, le Royaume-Uni cherche à obtenir le soutien des communautés juives dans l’effort de guerre. Ils cherchent aussi à consolider son influence aussi bien en Méditerranée qu’en Orient en s’appuyant sur l’Organisation Sioniste Mondiale. Fondée en 1897 à l’initiative de Theodor Herzl, elle porte l’idée d’un retour des Juifs en Terre sainte.
Du nom de son auteur Arthur Balfour, secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, la déclaration marque le premier soutien officiel d’une grande puissance à la création d’un « foyer national juif » en Palestine. Il devient une référence majeure du sionisme politique. L’écrivain d’origine juive hongroise Arthur Koestler résume ce moment-clé de l’histoire. Il dit : « une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième ». Bien que les Britanniques obtiennent avec le soutien sioniste, le mandat sur la Palestine, les actes de l’administration mandataire démentent rapidement les promesses tenues dans la déclaration Balfour.
Arthur Balfour et sa lettre ouverte datée du 2 novembre 1917,
publiée le 9 novembre dans le Times de Londres (British Library)[4].
Notes
[1] Ère de réformes dans l’Empire ottoman (1839-1876).
[2] La Sublime Porte est le nom français de la porte d’honneur monumentale du palais de Topkapi à Constantinople, siège du gouvernement du sultan de l’Empire ottoman. Ce nom peut désigner, par métonymie, l’Empire ottoman lui-même.
[3] En référence à Sir Mark Sykes et François Georges-Picot, diplomates anglais et français qui jouent en réalité un rôle secondaire. Les négociations sont en réalité menées par les ministres des affaires étrangères français et britannique, Paul Cambon et Edward Grey.
[4] Traduction de la lettre : « Cher Lord Rothschild, J’ai le grand plaisir de vous transmettre, de la part du gouvernement de Sa Majesté, la déclaration suivante. De sympathie avec les aspirations juives sionistes, qui a été soumise au cabinet et approuvée par lui. « Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif. Il fera tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter la réalisation de cet objectif. Etant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politique dont les Juifs disposent dans tout autre pays. » Je vous serais obligé de porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste »











Source Pharos