Depuis vingt-cinq ans, l’Institut de Formation Humaine Intégrale de Montréal (IFHIM) apporte une contribution originale et précieuse à la construction et à la consolidation de la paix dans des pays en proie à la violence et aux traumatismes (Haïti, Rwanda, RDC, Centrafrique, Liban, …). Cette aventure des « bâtisseurs de ponts de paix » s’enracine tout d’abord au Canada. C’est Marie-Marcelle Desmarais, directrice générale de l’IFHIM depuis 1984, formatrice, travailleuse sociale, psychothérapeute et religieuse (Congrégation de Notre-Dame) qui a découvert et conceptualisé, à partir de 1995, le processus qui permet de former des « Bâtisseurs de Ponts de Paix » et des « Secouristes pour la Paix » [1].
L’IFHIM a été fondé par Jeannine Guindon (1919-2002), psychoéducatrice de renommée internationale et longtemps professeure à l’Université de Montréal, qui a consacré sa vie aux besoins des jeunes en difficulté, enfants et adolescents mésadaptés, déficients intellectuels, surdoués, inadaptés sociaux ou jeunes délinquants en rééducation.
Cette fondation a été créée dans le contexte des bouleversements qui ont accompagné la Révolution tranquille (1965-1975), notamment la « débandade » au sein du clergé catholique, signe que les valeurs ne se sont pas pleinement intégrées dans le cœur des personnes. Quand Jeannine Guindon fonde l’IFHIM, elle puise dans son expérience professionnelle, aussi bien théorique que pratique pour aider les responsables dans l’Église, les parents et les enseignants. L’actualisation des forces psychologiques est sa découverte majeure et à cette époque, il n’est pas question de ponts, mais de formation à la paix.
Par la suite et depuis plus de 40 ans, Marie-Marcelle Desmarais et les membres de l’équipe professionnelle de l’IFHIM ont poursuivi la recherche et ont fait des découvertes qui ont permis de conceptualiser, de concrétiser et d’enrichir le processus de formation humaine intégrale.
C’est cette formation que viennent chercher chaque année des étudiantes et étudiants de plus de vingt-cinq pays des cinq continents, l’objectif étant que ces étudiants envoyés à Montréal soient solidement équipés et deviennent à leur tour des formateurs – des « multiplicateurs » – au retour dans leur pays. « Aider un peuple, c’est former des gens pour aider leur peuple » affirme Marie-Marcelle Desmarais. Aujourd’hui, des noyaux de formateurs sont présents dans plus de soixante-dix pays.
Et dès 1985, dans différents séminaires et sessions de formation, Marie-Marcelle Desmarais initie des façons de relier des personnes différentes : au Canada, avec les personnes des peuples amérindiens, au Rwanda, entre des leaders de différentes ethnies et en Amérique Latine, entre les personnes de différentes classes sociales.
La découverte au Québec
Des murs à défaire et des ponts à construire, ce n’est pas ce qui manque au Québec en 1995. À l’aube d’un référendum sur la souveraineté du Québec, l’hostilité que se vouent réciproquement francophones et anglophones engendre un climat social particulièrement tendu. Dans ce contexte, Marie-Marcelle Desmarais est invitée à donner une session de « résolution non-violente des conflits dans une perspective sociale », pour des animateurs de pastorale à Sainte-Anne-de-la-Pocatière, un milieu purement québécois, une localité du Québec essentiellement blanche et francophone. Quels conflits peut-il bien y avoir entre gens si semblables ? Il s’avère que les participants sont séparés, voire divisés par villages ! Les expériences proposées lors de la formation mettent en évidence un « mur », source de conflit potentiel, celui de l’inconnu, de la peur et de la méfiance. Et finalement, aux participants de prendre conscience, après avoir expérimenté entre eux la découverte de leurs forces communes, qu’il leur était possible de parler à quelqu’un sans le connaître et sans avoir peur. Marie-Marcelle Desmarais réalise ce jour-là que ce mur de l’inconnu nourrit tous les autres. Reconnaître l’ouverture de l’autre, voir la force de son amour en actes, c’est ce qui permet de la découvrir comme une personne, au-delà des différences.
L’expérience est renouvelée quelques temps plus tard, cette fois-ci au Burundi dans un contexte politique et social autrement plus difficile ; et les années suivantes, en 1996 : au Honduras et au Rwanda ; en 1997 : au Pérou et à Montréal, avec des jeunes de l’Ontario et du Québec.
Au fil des ans et des expériences faites dans différents contextes, le processus se confirme et s’enrichit. Les différentes découvertes articulées dans la « formation humaine intégrale basée sur l’actualisation des forces vitales humaines » sont nécessaires pour proposer et faire vivre ce processus [2].
Des expériences significatives
L’actualité internationale des années 1990-2010 – le Génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994, la Guerre civile au Kivu-RDC et en République Centrafricaine, pour ne citer que quelques exemples – confirme l’urgence pour l’IFHIM de s’investir davantage à la formation des « bâtisseurs de ponts de paix ».
De fait, la paix ne se décrète pas (ou plus) par une victoire militaire ou diplomatique. La sécurisation, la stabilisation et la normalisation de la vie politique et sociale sont des conditions nécessaires mais non suffisantes pour une paix durable. La paix, toujours fragile, se gagne en rejoignant patiemment les cœurs et les esprits.
« Dans ces situations [de guerre comme de catastrophe naturelle] les ravages du stress post-traumatique [sont] très importants. Il n’est pas suffisant de reconstruire des écoles ou des hôpitaux. Aucun lendemain meilleur ne sera possible si les cœurs ne sont apaisés, soignés, si les communautés ne se retrouvent sur un chemin de dialogue. (…) Remettre sur pied non seulement des infrastructures, mais surtout des personnes. » (Jean-Marie Destrée, Caritas France).
Au Rwanda…
En effet, le drame rwandais place l’IFHIM devant deux défis. Tout d’abord le besoin de restaurer les forces vitales des personnes à la suite des traumatismes vécus malgré le manque de personnes formées au Rwanda pour assumer cette responsabilité. Ensuite, la formation de secouristes pour la paix, de « Bâtisseurs de Ponts de Paix ». C’est le chemin qui a été choisi.
Après le Génocide de 1994, un noyau d’anciens étudiants rwandais de l’IFHIM a donné naissance au groupe « Ibakwe ».
Le Secours Catholique de France qui s’est engagé dès 1995 pour donner des bourses de formation les soutient. En 2002, avec plus de vingt personnes formées à l’IFHIM, le groupe « Ibakwe » s’engage à offrir au peuple rwandais le service de préparation de Secouristes pour la Paix. Le groupe « Ibakwe » s’adresse à de nombreuses personnes : « des agents de santé mentale, des médecins sans frontière, des paysans, des agriculteurs et éleveurs, des agents de la Caritas Rwanda, des veuves du Génocide, ou encore des femmes de prisonniers », mais ce sont plus largement les institutions comme les tribunaux Gacaca, les centres de santé, les écoles, les internats, les prisons, les centres de pastorale, les camps de réfugiés mais aussi les familles qui bénéficient des retombées positives de ces formations. « Mais attention, précisait Marie-Marcelle Desmarais en 1996, nous ne leur parlons pas de réconciliation. Nous travaillons en amont, sur ce qui sera nécessaire au pardon, parfois très difficile. En découvrant que leurs actions réussies dépassent leurs peurs, qu’ils sont grands et dignes, ils pourront progressivement reconnaître que les autres sont comme eux. La compassion et le pardon ne pourront naître que de là. »
En 2007, un rapport d’évaluation de 11 ans d’engagement d’Ibakwe [3] a mis en évidence les fruits de l’engagement de ses membres pour aider à construire des ponts de paix entre les personnes au Rwanda.
…Et en République Centrafricaine
Fort des évaluations positives de son expérience au Rwanda, mais aussi en RDC – en associant Congolais et Rwandais –, les équipes de l’IFHIM continuent d’œuvrer à travers le monde avec discrétion, confiance et méthode pour abattre des murs, bâtir des ponts et reconstruire les personnes.
Depuis 2014 en Centrafrique, l’IFHIM, avec le soutien financier du Secours Catholique de France, s’attelle à restaurer les liens entre chrétiens et musulmans malgré les traumatismes et la violence. Grâce à la confiance et la reconnaissance acquises sur le terrain par l’équipe locale, des personnes-relais et des leaders des différentes communautés ont pu bénéficier des sessions de formation et devenir à leur tour des « bâtisseurs de ponts de paix ».
« La formation que les personnes ont reçue, les outils dont elles bénéficient, le cheminement qu’elles ont fait, tout cela leur permet de rester des personnes de référence, des personnes de paix. Elles sont en mesure de reconnaître les besoins des personnes autour d’elles et se voient capables d’apporter des réponses, concrètes et enracinées dans la réalité centrafricaine : pour que des enfants soient moins violents entre eux, que des jeunes se découvrent dans leurs capacités, que des adultes, des jeunes et des enfants de différentes communautés se rencontrent comme des personnes et non comme des ennemis, pour que des personnes blessées, meurtries par des expériences difficiles retrouvent les forces pour s’engager, pour vivre sans nourrir un esprit de vengeance ou de rancune. [4] »
Ainsi, pour Jean-Marie Destrée de la Fondation Caritas France – partenaire de l’IFHIM depuis plus de 20 ans – « l’institut, en créant et développant des outils efficaces et des pédagogies accessibles aux acteurs des pays à lourds défis, a écrit une nouvelle page de l’action humanitaire. »
Notes
*Nous remercions ici sincèrement Marie-Marcelle Desmarais, directrice générale de l’IFHIM et Élisabeth Michaëly, conseillère en formation humaine intégrale et formatrice, pour leur confiance et leur relecture attentive.
[1] Marie-Marcelle Desmarais est reconnue pour ses différents travaux scientifiques tels que : la relecture des expériences vécues par l’actualisation des forces vitales humaines, « les contre-forces qui paralysent l’actualisation des forces vitales humaines et qui se manifestent dans les interactions », « le projet collectif pour un engagement social, le charisme et l’actualisation des forces vitales humaines », « comment devenir bâtisseur de ponts pour la paix au cœur des différences ? » « comment se préparer comme secouriste pour la paix ? » « comment rendre conscients l’inconscient et le non- conscient ? », ainsi que pour ses nombreuses recherches sur la restauration des forces vitales humaines dans l’expérience traumatique.
[2] Programme de 1000 heures/ an pendant trois ans, à Montréal. « Les différentes facettes de la formation humaine intégrale et ses applications sur le terrain : Restauration des forces vitales humaines dans l’expérience traumatique, Vraie et fausse représentation, Bâtisseurs de ponts de paix, Charisme et restauration, Projet collectif, etc. ».
[3] « Impact de l’initiation des secouristes de paix et bâtisseurs de ponts pour la paix au Rwanda », Magazine de la personne : Montréal, IFHIM, vol. 7, no 1 (juin 2011).
[4] MICHAËLY Élisabeth, « Fécondité de la formation Centrafrique », Rapport annuel d’activité au 31 octobre 2018, Montréal, IFHIM, 2019, p 35.