Annoncée et reportée à maintes reprises depuis 2017, la stratégie de lutte contre les séparatismes a été dévoilée dans ses grands axes par le président de la République, le vendredi 2 octobre 2020 lors d’un discours à la cité des Mureaux (Yvelines). Le texte de l’avant-projet de loi, censé inscrire dans la législation française les principales mesures de cette stratégie, a été présenté devant le Conseil d’État le 16 novembre dernier. La mouture définitive du projet de loi est, quant à elle, connue depuis le 9 décembre, 115 ans jour pour jour après l’adoption de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Sans surprise, les débats au Parlement, comme dans l’ensemble de la société, s’annoncent particulièrement longs et passionnés.
Avant de se pencher sur les différentes mesures prévues dans l’avant-projet de loi, il convient dans un premier temps de revenir sur la stratégie globale visant, tout en luttant contre l’islam radical, à « conforter les principes républicains ».
« Le problème ce n’est pas la laïcité », « ce à quoi nous devons nous attaquer, c’est le séparatisme islamiste »
Emmanuel Macron a commencé son « discours des Mureaux » en clarifiant deux points essentiels. Le premier est la cible du projet : l’« islam radical » qui nourrit « le séparatisme islamiste ». L’approche adoptée par le Président est à la fois ferme et prudente : nommer clairement le phénomène pour pouvoir l’isoler et donc mieux le contrer, et, par la même occasion, éviter tout amalgame avec l’islam, autrement dit, avec l’expression des convictions des croyants musulmans. Comment le séparatisme islamiste est-il donc défini ?
« C’est un projet conscient, théorisé, politico-religieux qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République. Il se traduit souvent par la constitution d’une contre-société dont les manifestations sont la déscolarisation des enfants, le développement de pratiques sportives et culturelles communautarisées qui sont le prétexte pour l’enseignement de principes qui ne sont pas conformes aux lois de la République. C’est l’endoctrinement, et par celui-ci la négation de nos principes : l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité humaine. Le problème, c’est cette idéologie qui affirme que ses lois propres sont supérieures à celles de la République. »
Interrogé, sur l’existence d’autres formes de séparatismes en France, lors de la conférence de presse qui a suivi, le Président a répondu par l’affirmative en reconnaissant une réalité « marginale » qui sera de fait abordée par le projet de loi. Un texte qui se veut donc non exclusif, du moins non discriminatoire comme doit l’être tout texte législatif.
La deuxième clarification concerne la laïcité, principe fondamental de la République française et « ciment de la France unie ». En réalité, il s’agit plutôt ici d’un rappel de la part du Président qui avait déjà eu l’occasion de s’exprimer à maintes reprises sur le sujet. En février 2020 à Mulhouse, par exemple, E. Macron avait déjà pris soin de distinguer la laïcité, des enjeux liés à ce qu’il désignait alors comme ceux du communautarisme :
« Le problème que nous vivons n’est pas celui de la laïcité. C’est une faute de sens très profonde. La laïcité, c’est dans notre République la possibilité de croire ou de ne pas croire librement mais le devoir absolu de respecter les lois de la République, quelle que soit sa religion. C’est de ce fait la neutralité des services publics, pas de la société. C’est ensuite la séparation entre l’Église et l’État, mais la possibilité libre pour chacune et chacun de pratiquer sa religion sans que cela vienne troubler l’ordre public, sans que cela vienne troubler le respect des lois de la République. C’est ça la laïcité. Ni plus, ni moins [1]. Il faut la faire respecter partout quand elle ne l’est pas. Mais il ne faut pas lui demander d’être l’instrument d’une bataille contre une religion ou d’une reconquête de territoires, ça n’est pas sa fonction. »
Une stratégie globale déclinée en cinq piliers
« Aux grands maux, les grands remèdes ». Le proverbe convient parfaitement pour mesurer la stratégie globale présentée par le président de la République. L’un des passages les plus marquants du discours est certainement la reconnaissance des responsabilités partagées de l’État – par le biais de certaines politiques de peuplement – dans les mécanismes qui ont conduit à l’apparition des logiques séparatistes :
« Nous avons nous-mêmes construit notre propre séparatisme. C’est celui de nos quartiers, c’est la ghettoïsation que notre République, avec initialement les meilleures intentions du monde, a laissé faire (…). Au fond, ce que la République n’a plus apporté parce qu’elle était submergée par ses propres difficultés, parce que parfois, elle avait reculé en termes de services publics, ces organisations, porteurs de cet islam radical, s’y sont méthodiquement substitués. Et donc sur nos reculs, parfois nos lâchetés, ils ont construit leur projet, méthodiquement là aussi. »
Le constat qui est ici dressé avec amertume par le chef de l’État souligne les enjeux sécuritaires et sociaux, inextricablement liés, de la lutte contre le séparatisme islamiste. C’est sur la base de cette prise de conscience clairement établie qu’E. Macron a développé sa vision de la lutte contre l’islam radical. Cette lutte s’articule autour de cinq piliers qui dessinent un axe visant à « renforcer la laïcité et consolider les principes républicains ». En voici l’essentiel :
1er pilier : une application plus stricte de la neutralité du service public
Relevant un certain nombre de dérives (ex : lieux de prières improvisés dans les entreprises de transport et les aéroports), le Président a déclaré que « l’obligation de neutralité sera applicable aux agents publics dans le cadre évidemment de leur action, mais surtout elle sera étendue aux salariés des entreprises délégataires, ce qui n’était pas clairement le cas » jusqu’à présent. En réalité, cette obligation existe déjà, « mais dans les faits elle n’est pas toujours appliquée », comme l’affirme Nicolas Cadène, rapporteur de l’Observatoire de la laïcité. « La jurisprudence l’avait déjà formalisée, en 2013 », ajoute-t-il.
2e pilier : un meilleur contrôle des associations
Les associations, acteurs majeurs de la société civile et donc de la République font aussi l’objet d’une attention particulière. Parmi les mesures envisagées, un meilleur contrôle est prévu pour sanctionner les associations qui « prennent le prétexte du culturel pour faire du cultuel », ou parfois même déploient des stratégies d’endoctrinement. Afin de garantir le respect des « valeurs de la République », « toute association sollicitant une subvention auprès de l’État ou d’une collectivité territoriale » devra signer une « charte de la laïcité » qui fera office de « contrat de respect des valeurs de la République », comme cela a déjà pu être mis en place, par exemple, par la Caisse d’Allocations Familiales (CAF). Suivant cette logique, en cas de non-respect de la charte, l’argent perçu devra être remboursé. Pour les cas plus extrêmes, les motifs de dissolution jusque-là « très limités » seront étendus à d’autres motifs comme « atteinte à la dignité de la personne » ou « pressions psychologiques ou physiques ».
3e pilier : une éducation républicaine pour « former des citoyens, non des fidèles »
L’éducation fait figure de priorité dans la stratégie présidentielle de lutte contre le séparatisme. Pour endiguer le phénomène de déscolarisation de certains enfants et circonscrire le risque d’un enseignement religieux à domicile échappant au système éducatif républicain, plusieurs mesures sont prévues :
- L’instruction sera obligatoire dès l’âge de 3 ans, pour tous, dès la rentrée 2021. Une « décision forte, sans doute l’une des plus radicales depuis les lois de 1882 [école primaire obligatoire et gratuite] et celle assurant la mixité scolaire entre garçons et filles en 1969 » ;
- « L’instruction scolaire à domicile sera strictement limitée, notamment aux impératifs de santé » ;
- Les contrôles dans les écoles hors contrat seront renforcés en prenant appui sur la loi Gatel (2018) « visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat » ;
- La suppression des enseignements en langues et cultures d’origine (ELCO) gérés par les pays d’origine, et souvent en inadéquation avec les valeurs républicaines. Le Président a plaidé par ailleurs pour un meilleur enseignement de la langue arabe à l’école ainsi que « dans un périscolaire que nous maîtrisons » car « notre jeunesse est aussi riche de cette culture plurielle ».
4e pilier : construire un « islam des Lumières », sans interférer dans les affaires cultuelles
L’État se doit, selon le Président, d’« accompagner » l’islam en France à se structurer autour d’interlocuteurs bien identifiés (ce qui a déjà été fait au niveau des territoires par les préfets) pour pouvoir être un partenaire de la République et exercer des responsabilités partagées. L’espoir est de faire émerger un « islam des Lumières en paix avec la République ».
Le second mot d’ordre de ce pilier est de « libérer l’islam en France des influences étrangères ». Et cela de deux manières.
La première, par un contrôle des flux financiers pour une plus grande transparence. Aujourd’hui, « de nombreuses associations musulmanes utilisent le système le plus facile : les associations de loi 1901, une manière d’échapper au contrôle de l’État, bien plus fort lorsqu’il s’agit d’associations cultuelles et diocésaines », explique Valentine Zuber, historienne et spécialiste de la laïcité. Pour mieux « encadrer » et non interdire les financements étrangers, les mosquées seront fortement « incitées » à adopter le régime juridique d’association cultuelle 1905, « plus intéressant pour elle fiscalement, mais aussi plus surveillé ». Par ailleurs, il est prévu de durcir les contrôles sur les associations type 1901. Enfin est également prévu un « dispositif anti-putsch très robuste » pour éviter que des islamistes radicaux prennent le contrôle de certaines mosquées.
Deuxième procédé visant à limiter l’influence étrangère sur les organisations islamiques françaises : mettre fin au système des imams et psalmodieurs détachés [que la France faisait jusqu’à aujourd’hui venir principalement de la Turquie, du Maroc et de l’Algérie] et former les imams en France. Vaste défi quand on connaît les forces et les ressources aujourd’hui disponibles, et cela malgré un investissement notable ces dernières années. La formation des imams, qui relève des affaires cultuelles ne pouvant à ce titre être supervisée par l’État, du moins sur le plan théologique (des Diplômes universitaires de formation à la laïcité à destination des représentants des cultes sont délivrés par des établissements publics), c’est au Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) qu’il reviendra de « labelliser une formation des imams, de les certifier et écrire une charte dont le non-respect entraînera une exclusion ».
Enfin, l’État promet également de « soutenir ce qui doit, dans notre pays, permettre de faire émerger une meilleure compréhension de l’islam », annonçant dans cet objectif la création d’un « institut scientifique d’islamologie » et de « postes supplémentaires dans l’enseignement supérieur ».
5e Pilier : faire aimer la République
Sur une note plus lyrique et patriotique dont il est familier, le Président a conclu son discours par un appel à un « réveil républicain ». « Nous avons un devoir d’espoir. La République est à la fois un ordre et une promesse. (…) L’amour ça ne se décrète pas, ça ne se légifère pas. Refaire entrer la République dans le quotidien. Beaucoup de travail a été fait mais ça ne se voit pas forcément. La République doit revenir partout. Nous aimons la République quand elle tient ses promesses d’émancipation. Il faut aller plus loin dans cette voie. » Et au Président aussi de rappeler la vision républicaine de la nation française : « Nous ne sommes pas une société d’individus, nous sommes une nation de citoyens. Notre plus beau trésor, c’est ce bloc que nous formons, il est un et pluriel. »
Entre sécurité et liberté : un climat social et politique délétère
D’aucuns reconnaîtront le mérite, dans ce discours présidentiel tant attendu, d’avoir nommé la singularité de la menace et déroulé une stratégie globale pour le moins ambitieuse. Pour autant, l’opposition a immédiatement fait entendre ses objections. Le député (Les Républicains) Éric Ciotti, s’est indigné d’entendre, selon lui, « toujours la même rengaine de l’excuse sociale et de la repentance ». Jean-Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise, a quant à lui déploré un « discours hypocrite et malfaisant » qui stigmatise l’islam, et dénoncé « une mise en scène dramatisante absolument inutile » d’autant plus que la loi « telle qu’elle est » permet déjà de réprimer ce qui doit l’être.
À ces divisions de la classe politique, s’est ajoutée une actualité particulièrement violente et traumatisante. Depuis le discours du 2 octobre, la France a été visée à plusieurs reprises par des actes terroristes islamistes. Le 16 octobre, Samuel Paty, un professeur d’histoire-géographie de Conflans-Sainte-Honorine était décapité pour avoir montré, quelques jours plus tôt, des caricatures du prophète Mohammed issues de Charlie Hebdo lors d’un cours d’enseignement moral et civique sur la liberté d’expression. Le 29 octobre, trois personnes qui se trouvaient dans la basilique Notre-Dame de Nice étaient assassinées à l’arme blanche en raison de leur confession religieuse.
Ces différentes attaques, aussi tragiques soient-elles, ont été d’autant plus durement ressenties qu’elles ont symboliquement visé des libertés fondamentales – les libertés d’expression, d’enseignement et de religion – qui sont le ferment de la vie démocratique. Une attaque terroriste, ce sont non seulement des vies enlevées mais aussi des institutions, des valeurs et des principes mis à l’épreuve. Jean Birnbaum, dans son ouvrage La Religion des faibles. Ce que le djihadisme dit de nous (Seuil, 2018) souligne avec justesse comment les djihadistes, à travers un jeu de miroir macabre – « Nous aimons la mort comme vous chérissez la vie » –, nous imposent un « nous » avec violence. Ce « nous » que nous devons assumer, nous renvoie à nos propres fragilités, nos divisions, et nous oblige à une sorte d’introspection collective d’autant plus malaisante qu’elle nous est imposée avec force. En d’autres mots ce « nous » que nous opposent les terroristes nous force à définir et à affirmer de nouveau ce à quoi nous tenons. Pour les Français, et plus largement les Européens, issus d’origines diverses, toujours en mouvement, ce qui rassemble – les valeurs, la mémoire, le vocabulaire, les réflexes –, est « enraciné » dans l’ « aventure singulière » du « vieil occident ». Héritière des philosophes grecs, d’une éthique biblique, de l’ironie des Lumières et des révolutions démocratiques, l’Europe, et en son sein la France, « a comme particularité de ne s’être jamais laissé refermer sur elle-même ».
« On se sent faible, mais de cette faiblesse, on fera un levain » (J. Birnbaum). Définir ce à quoi nous tenons le plus – en premier lieu : les libertés –, pour faire face ensemble et avec force à ce qui nous menace et nous divise. Voilà ce qui se joue au cœur des multiples polémiques qui secouent la société française, en particulier depuis le mois d’octobre : un Observatoire de la laïcité jugé trop complaisant malgré son approche pédagogique, au plus proche du terrain, basée sur l’état du droit et le consensus libéral autour de la loi de 1905 ; l’inquiétude exprimée par des universitaires qui dénoncent l’influence croissante des études post-coloniales – et notamment du « différentialisme à tous crins » –, ainsi que la pression et la censure qui pèsent sur la recherche et l’enseignement dans le monde académique français ; les manifestations d’ampleur en opposition à l’article 24 de la loi de sécurité globale » censé protéger les forces de l’ordre, mais considéré comme une menace potentielle pour la liberté de la presse ; et enfin, l’agacement non dissimulé de la Conférence des Évêques de France – un temps plus réservée –, en raison du dialogue compliqué avec le Gouvernement au sujet de mesures limitant la liberté de culte en raison des conditions sanitaires, mesures jugées récemment par le Conseil d’État comme une atteinte « grave », « illégale » et « disproportionnée au regard de l’objectif de préservation de la santé publique » . Un ensemble de polémiques pêle-mêle et parfois vives, qui ont, malgré leurs caractères propres et divers, un point commun – la défense d’un juste équilibre entre sécurité et libertés – et par conséquent une incidence non négligeable sur le débat autour de la stratégie gouvernementale visant à conforter les principes républicains.
L’avant-projet de loi « confortant les principes républicains »
C’est dans ce contexte qu’il faut aborder l’avant-projet de loi confortant les principes républicains, transcription, dans la loi, de la stratégie globale énoncée par le chef de l’État et exposée ci-dessus. Le texte tel qu’il a été présenté le 17 novembre 2020 devant le Conseil d’État comporte 57 articles.
Garantir le respect des principes républicains
Dans un premier temps, la loi vise à « garantir le respect des principes républicains » (titre 1) en réaffirmant le principe de neutralité des services publics (ch.1), en renforçant l’encadrement des subventions publiques attribuées aux associations cultuelles (ch.2) ainsi qu’en prévoyant des mesures qui touchent divers aspects de la vie en société : le mariage, l’héritage (ch.3), l’école (ch.4), Internet (ch.5) et le logement (ch.6).
Réaffirmer le principe de neutralité des services publics
Il est prévu de réaffirmer la neutralité religieuse des services publics (ch. 1) – « bras armé de l’impartialité de l’État » – qui a pu être remise en cause par des usagers, des agents des services publics, ou par des pressions communautaires exercées sur ces mêmes agents ou des élus. Ces mesures visent au bon fonctionnement des services publics. Dans cet objectif, l’extension du principe de neutralité aux organismes privés chargés d’une délégation de service public sera inscrit dans la loi (art. 1), et les préfets verront leurs pouvoirs de contrôle renforcés. Ils pourront notamment suspendre immédiatement un agent du service public local en cas de dysfonctionnement, c’est-à-dire en cas de constat d’atteinte au principe de neutralité des services publics (art. 2). Aussi, une nouvelle série de sanctions permettra de mieux protéger les agents chargés du service public face « aux menaces, aux violences ou tout acte d’intimidation exercés à leur encontre dans le but de se soustraire aux règles régissant un service public pour des motifs tirés des croyances ou convictions de l’auteur des faits » (art. 4).
Un meilleur encadrement des activités et des subventions publiques versées aux associations
L’arsenal juridique prévoit également un meilleur encadrement des activités des associations qui reçoivent des subventions publiques (ch.2). Il ne s’agit pas ici de limiter le versement de subventions aux associations confessionnelles ou d’inspiration confessionnelle (ex : mouvements scouts, secours catholique, etc. à ne pas confondre avec les associations cultuelles loi 1905 qui ne peuvent recevoir de subventions publiques) pour leurs activités d’intérêt général, et qui ont un rôle considérable dans la société. Cependant certaines de ces associations très engagées dans le domaine social, culturel et périscolaire usent des libertés associatives et des avantages fiscaux pour agir, parfois, en opposition aux principes républicains.
Désormais toute validation de versement d’une subvention publique sera conditionnée par la signature d’un « contrat d’engagement républicain » obligeant au respect « de la dignité de la personne humaine, du principe d’égalité, notamment entre les hommes et les femmes, le principe de fraternité et le rejet de la haine ainsi que la sauvegarde de l’ordre public » (art. 6). De plus, les conditions d’obtention d’agréments, notamment dans le domaine périscolaire (ex : agrément « jeunesse et sport ») seront également renforcées (art. 7). Enfin, deux nouveaux motifs de dissolution d’association sont ajoutés : « atteinte à la dignité de la personne » et « pressions psychologiques ou physiques sur des personnes dans le but d’obtenir des actes ou des abstentions qui leur sont gravement préjudiciables » (art. 8). Cet article prévoit également que les agissements commis par un membre d’une association et directement liés à ses activités pourront être imputés à cette même association.
Protéger la dignité de la personne humaine
Au nom de la protection de la dignité de la personne humaine (ch.3) – premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 –, diverses modifications du Code civil sont opérées. Ces modifications visent à garantir l’égalité de droits entre hommes et femmes, en protégeant les héritiers réservataires (art. 13) ainsi qu’en prohibant des pratiques coutumières jugées dégradantes (la polygamie (art.15), le certificat de virginité (art.16)), et en renforçant les mesures de contrôle par les officiers d’état civil en cas de doute de mariage forcé (art. 17).
Concernant l’éducation (ch.4), considérée comme l’un des domaines les plus investis par les mouvements séparatistes, la loi consacre le principe de la scolarisation obligatoire de 3 à 16 ans dans un établissement d’enseignement public ou privé, sauf si celle-ci est « impossible pour des motifs tenant à [la] situation [de l’enfant] ou à celle de sa famille » (art.18). En outre, afin que les autorités académiques puissent garantir à chaque enfant son droit à l’instruction, la loi prévoit l’attribution à chacun d’un identifiant national unique. Ce chapitre est complété par des mesures renforçant le pouvoir de contrôle et de sanctions des écoles privées hors contrat (art. 21) ainsi que des fédérations sportives agréées (art. 24).
Pour lutter contre l’incitation à la haine en ligne (ch.5), est créé un nouveau « délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne, permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but d’exposer elle-même ou les membres de sa famille à un risque immédiat d’atteinte à la vie, à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens » (art. 25). Des peines aggravées sont prévues lorsque la personne visée est dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public. La formulation de ce nouveau délit fait écho aux conditions tragiques qui ont entraîné la décapitation de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie (16 octobre 2020), ainsi qu’à l’article 24 de la loi de sécurité globale (article très discuté, actuellement en cours de réécriture). Des mesures sont également prévues pour faciliter les procédures et raccourcir les délais afin de supprimer les messages haineux sur Internet, notamment ceux repris par des sites miroirs qui reprennent des contenus faisant déjà l’objet de blocage ou de déréférencement.
Comme le président de la République le soulignait dans son discours, la lutte contre le phénomène de ghettoïsation, en grande partie dû à certaines politiques publiques, doit être une priorité. Cet avant-projet de loi prévoit donc de renforcer les moyens du Gouvernement pour une prise en compte plus effective des objectifs de mixité sociale dans les attributions de logements sociaux (art. 27).
Garantir le libre exercice du culte
Afin de garantir le libre exercice du culte (titre 2), la loi vient renforcer à la fois la transparence des conditions même de l’exercice du culte (ch.1) ainsi que les mesures de police des cultes, notamment en cas de financements étrangers (ch.2). La loi de 1905 fait l’objet de modifications à la marge (seuls les articles 19, 21, 23, 26, 29, 31, 65, 36 et 43 sont concernés).
L’État souhaite encourager l’inscription des associations musulmanes en tant qu’« associations cultuelles de loi 1905 » (ch.1) en simplifiant le processus de création par une modification de la loi de 1905. Leur mode de gouvernance sera consolidé par une clause dite « anti-putsch » (art. 29) qui impose la création d’un organe de délibération pour l’adhésion de tout nouveau membre. Par ailleurs, les associations loi 1901 dites « mixtes » (combinant activités cultuelles et culturelles) seront soumises aux mêmes obligations de contrôle administratif de leur comptabilité que les associations cultuelles loi 1905, sans pouvoir bénéficier des mêmes avantages fiscaux : défiscalisation des dons, exonération des impôts locaux (art.33). Pour rendre les associations cultuelles loi 1905 plus attractives, une plus grande autonomie financière leur sera accordée. Elles verront en effet leurs capacités de financement élargies ou consolidées grâce à la possibilité de posséder des immeubles acquis à titre gratuit (don, héritage) pour pouvoir en tirer des revenus qui seront exclusivement destinés à financer les activités cultuelles (art.31). Les associations loi 1901 mixtes seront contraintes de présenter des comptes annuels dissociant clairement les activités liées à l’exercice public du culte du reste de leurs activités (art.33).
La nouvelle loi prévoit également « d’actualiser les dispositions d’ordre public relatives au financement étranger des cultes et met en cohérence les règles de police des cultes avec le droit pénal » (ch.2). En d’autres termes une plus grande transparence est imposée à la gestion comptable et patrimoniale des associations cultuelles qui perçoivent des financements étrangers (art.36). Par ailleurs, pour réduire l’influence ou la mainmise d’acteurs étrangers sur les associations et lieux de culte, l’article 38 prévoit que l’autorité administrative peut s’opposer à tout versement ou valorisation d’un montant supérieur à 10 000 euros par une personne physique non résidente ou une personne morale étrangère (art. 38-39). En matière de police des cultes, les peines prévues en cas d’incitation à la haine ou à la violence commise dans ou aux abords des lieux de culte sont aggravées (art.42). Cette mesure vise entre autres les prêches. Il est également prévue une peine d’interdiction de paraître dans les lieux de culte (art. 45). Enfin, une mesure de fermeture administrative temporaire des lieux de culte (deux mois maximum) est créée afin de prévenir et lutter contre la diffusion d’idées ou de théories qui portent atteinte aux valeurs républicaines et constituent un risque de trouble à l’ordre public (art.47).
Les débats en cours
En guise de conclusion de cette présentation, on peut résumer l’ensemble de cet avant-projet de loi par l’affirmation suivante : « la mobilisation de la société contre l’influence de l’islam radical passe désormais par une extension du contrôle des pouvoirs publics sur des forces vives de la société civile. » Bien que simple version de travail, ce texte permet cependant d’appréhender les tensions et débats à venir. Ces derniers devraient s’ouvrir au Parlement en février 2021. Ce texte posant en de nombreux points la question de l’équilibre entre liberté et sécurité (renforcement du contrôle des cultes, des associations et des établissements scolaires), les débats s’annoncent d’ores et déjà très animés. Par ailleurs, les différentes mesures annoncées ainsi que le contexte socio-politique actuel laissent à certains l’impression d’un tour de vis sécuritaire. Cette impression est renforcée par le fait que, d’une part, le volet social ambitieux présenté lors du discours des Mureaux ne fait l’objet d’aucun projet de loi, et que d’autre part, le dossier central de la formation des imams, qui doit être supervisée par le CFCM et « accompagnée » par le Gouvernement, est traité à part.
Tour de vis sécuritaire, reflet de l’opinion ?
Les réactions parfois vives autour de la proposition de loi de « sécurité globale » et de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, illustrent à quel point les craintes d’un tournant sécuritaire qui remettrait en cause certaines libertés publiques sont présentes dans l’opposition comme au sein de la majorité. Malgré cela, il semblerait que ce tournant aille dans le sens de l’opinion, comme le confirme Jérôme Fourquet, directeur du département opinion à l’IFOP : « En ce moment, les Français en demandent majoritairement plus que moins en matière de sécurité et de restrictions de libertés car, pour eux, la priorité reste de lutter contre la délinquance et le terrorisme, ainsi que le coronavirus ».
Premières objections institutionnelles
Preuve du caractère sensible du texte, le Conseil d’État, la plus haute instance administrative, a émis des doutes sur la constitutionnalité de la scolarisation obligatoire à 3 ans, une mesure phare de la stratégie du Gouvernement. Dans un projet d’avis (non officiel à l’heure où ces lignes sont écrites), les juristes soulignent que « cette suppression [de la scolarisation à domicile] n’est pas appuyée par des éléments fiables et documentés sur les raisons, les conditions et les résultats de la pratique de l’enseignement au sein de la famille ; il n’est pas établi, en particulier, que les motifs des parents relèveraient de manière significative d’une volonté de séparatisme social ou d’une contestation des valeurs de la République. Dans ces conditions, le passage d’un régime de liberté encadrée et contrôlée à un régime d’interdiction ne paraît pas suffisamment justifié et proportionné ». Autre point d’achoppement : l’article 25 créant un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à sa vie privée ou professionnelle dans le but de l’exposer à un risque d’atteinte à son intégrité ou à ses biens. Le fait que la peine encourue, et aggravée en cas d’atteinte à tout fonctionnaire, ne dépende non pas de la commission d’une atteinte mais de l’intention (qu’il reviendrait au juge de caractériser), fait dire dans les rangs des députés que l’exécutif a décidé la « réécriture » de l’article 24 de la loi de « sécurité globale ». Ce qui risque de nouveau de provoquer une levée de boucliers dans l’hémicycle comme dans la rue, selon Olivier Becht, chef des députés Agir, et Emmanuel Poupard, premier secrétaire général du Syndicat national des journalistes.
Pour l’heure, l’opposition la plus importante vient des collectivités territoriales, en particulier des maires qui ont déjà exprimé leur embarras vis-à-vis non pas de l’objectif poursuivi, mais des moyens envisagés. Afin de « cesser les petits arrangements » au niveau local, tel qu’on le commente au Ministère de l’Intérieur, l’article 2 instaure un dispositif dit de « carence républicaine ». Il s’agit de permettre aux préfets de saisir le juge administratif contre une décision jugée contraire au principe de neutralité des services publics (ex : distribution de menus confessionnels dans les cantines scolaires) et de suspendre immédiatement ce service le temps qu’une décision soit rendue. Bien que cet article vise à protéger les élus des pressions communautaires, le Conseil National d’Évaluation des Normes (CNEN), haute autorité chargée du contrôle et de l’évaluation du droit applicable aux collectivités, ainsi que l’Association des Maires de France, se sont dit « indignés » par ce qui leur apparaît comme un acte de défiance de la part de l’État. « L’emploi de ce terme [carence républicaine] constitue une manifestation de défiance, une stigmatisation d’une catégorie particulière d’administration publique qui serait supposée responsable de manquements dans ses obligations républicaines », selon l’avis du CNEN rendu le 23 novembre.
Déception des acteurs sociaux vis-à-vis du volet social
Dans son discours du 2 octobre, le président de la République a fait l’autocritique de la France en pointant les responsabilités et les manquements de l’État qui ont participé de la ghettoïsation de certains quartiers. Si la lutte pour l’égalité des chances ne se joue pas uniquement, et de loin, sur le terrain juridique, les acteurs de terrains, politiques comme associatifs, qui œuvrent dans les quartiers populaires déplorent la part réduite de l’avant-projet de loi concernant le volet social. « Le discours n’est pas faible, ce sont les actes qui ne sont pas à la hauteur » estime Tarik Touahria, président de la Fédération des centres sociaux de France. En outre, certains élus jugent que les idées du plan Borloo pour l’emploi, le logement et l’égalité des chances (2004) – pourtant saluées – ont été mal ou peu appliquées, quand d’autres dénoncent la situation d’un ministère de la ville, privé du portefeuille du logement, et « vidé de sa capacité à mener une politique d’envergure ». En témoignent aujourd’hui, le manque de logements sociaux et les projets de rénovations urbaines au point mort.
Déçu, Tarik Touahria appelle « à penser le social autrement » que par le contrôle et la répression. Dans son édito du 2 octobre 2020, intitulé « Fragiles libertés », et consacré aux enjeux de la lutte contre les séparatismes, le rédacteur en chef de La Croix, soulignait l’importance non seulement de la prise en compte des facteurs sociaux et économiques, mais aussi le besoin, pour la vie sociale, « d’un principe positif, mobilisateur, dynamisant, bref d’un horizon, qui fasse aimer la République, ses institutions et les libertés qu’elle garantit à chacun ». C’est ce qu’Emmanuel Macron a d’ailleurs développé dans son discours (cf. 5e pilier). Mais, ajoute-t-il en guise d’avertissement, « la loi, avec son pouvoir de coercition, ne comblera jamais ce manque. En outre, elle risque de faire diversion en faisant oublier que l’unité et l’ordre républicains sont aussi remis en question par des dynamiques économiques et sociales qui opèrent aussi un travail de ‘séparation’ en reléguant, excluant, isolant, déclassant, discriminant des personnes et des franges entières de la population. C’est aussi, et en même temps, contre ce ‘séparatisme-là’ qu’il faut lutter. »
De fait, à l’approche de la présentation officielle du projet de loi par le Conseil des ministres, le parti La République en Marche a réalisé une consultation de ses militants pour, dit-on, « construire une position au plus près des réalités du terrain ». Signe, sans aucun doute d’une prise de conscience, sur les 6 200 adhérents qui ont répondu, « 80 % estiment que l’égalité des chances est un facteur clé dans la lutte contre les séparatismes ».
La laïcité, un principe positif à réinvestir
Et si le « principe positif, mobilisateur, dynamisant » dont la société a besoin « pour faire aimer la République, ses institutions et les libertés qu’elle garantit à chacun » était la laïcité ? Le Président a tenu à souligner avec fermeté, dès le début de son discours du 2 octobre, que « le problème que nous vivons n’est pas celui de la laïcité ». La réalité n’est pas si catégorique. En effet, même si les débats autour de la laïcité n’ont jamais cessé, ce principe républicain fondamental est plus que jamais débattu aujourd’hui. Le consensus libéral qui guidait son interprétation juridique est régulièrement remis en cause depuis plus de 30 ans. Or, aujourd’hui il faudrait s’appliquer à rappeler à chaque citoyen les droits qui sont attachés à la liberté de conscience. « On a souvent peur de parler de religion et de liberté religieuse. Mais il faut expliquer aux Français aussi ce qu’ils ont droit de faire », insiste Joëlle Fiss, analyste des droits humains et membre du panel d’expert de l’OSCE sur la liberté de religion et de croyance. « Attention à ce que la lutte contre le terrorisme et l’islam radical, sources de séparatisme, ne nous enferme pas dans un cycle d’auto-privation ou limitation des libertés », ajoute-t-elle. Veiller à ce que la France ne devienne pas, sans s’en apercevoir, un pays qui dit « non ».
La vigilance des cultes
Quel impact pour les cultes ? Si de toute évidence les associations cultuelles musulmanes sont les premières concernées (et non visées!), qu’en est-il pour les catholiques, les protestants ou les juifs ? A priori peu de risque qu’ils soient grandement impactés. En effet, chacun de ces cultes – pour reprendre la désignation des religions en droit français –, est organisé, rompu aux règles de la laïcité, dialogue et négocie auprès des autorités publiques par le biais d’organisations représentatives reconnues par l’État (Associations diocésaines, Fédération protestante de France, le Consistoire central israélite, etc.).
En revanche, pour les évangéliques, en plein essor en France, les conséquences de cette loi pourraient être plus importantes. D’implantation plus récente, les évangéliques, pour partie d’entre eux, ne sont pas organisés en institutions bien consolidées (à l’exception du Conseil National des Évangéliques de France, le CNEF). Cette future loi qui leur impose de nouvelles responsabilités peut être une occasion, pour eux tout comme pour les divers courants de l’islam en France, de se faire connaître, d’autant qu’ils pâtissent, les uns comme les autres, d’une image médiatique plutôt mauvaise.
Peu de conséquences donc, mais la vigilance reste de mise comme en témoigne la réaction de plusieurs représentants religieux. Pour Hugues de Woillemont, prêtre et secrétaire général de la Conférence des Évêques de France (CEF), qui s’est confié au journal La Croix, si toute provocation à la haine ou à la violence doit « bien sûr être condamnée », la mention de « discriminations » [dans l’avant-projet de loi] semble le laisser plus circonspect. « Qu’entend-on par-là exactement ? Tous nos prêtres sont des hommes… A priori, nous n’avons rien à craindre avec le Gouvernement actuel, mais on ne sait pas de quoi l’avenir politique sera fait ». Du côté du CEF, l’on redoute une « ingérence » de l’État, qui voudrait « imposer aux cultes le principe de neutralité qu’il s’applique à lui-même ».
Enfin, fait notable autant qu’inhabituel, plus de 100 pasteurs et membres de plusieurs Églises protestantes ont signé une tribune intitulée « le courage des libertés » (2 décembre 2020) pour appeler le Gouvernement à abandonner le projet de mise en œuvre de politiques « liberticides » (visant ainsi la loi de « sécurité globale » et l’avant-projet de loi dont il est ici question). En tant que « chrétiens et citoyens », affirmant avoir « confiance en notre justice et nos institutions » et rappelant leur engagement pour la loi de 1905 ainsi que leur attachement au maintien de son équilibre interne, ces protestants ont souhaité prendre voix au chapitre et demander au Gouvernement de renoncer à construire « une société de la surveillance, qui utiliserait sans discernement tous les moyens techniques à sa disposition pour maintenir l’ordre public » et « de la méfiance envers toutes et tous ». Les signataires confient craindre également « les dégâts collatéraux sur les libertés religieuses ». « Au nom de la lutte contre l’islamisme et le terrorisme, nous avons peur des répercussions, notamment pour nos associations partenaires », précisent-ils. Que les élus et responsables politiques aient « le courage de répondre à la violence et aux peurs sans renoncer aux libertés qui fondent une démocratie », c’est par ces mots que cette tribune se conclut. Salués comme des « vigies de la République » lors des 500 ans de la Réforme en 2017, E. Macron avait lancé aux protestants de France : « pour les 500 prochaines années, en tout cas les cinq ans à venir, ne cédez rien ! ». Le message semble avoir été entendu. Affaire à suivre !
[1] Pour une définition de la laïcité comme cadre juridique qui permet la déclinaison des valeurs de la devise républicaine – liberté, égalité, fraternité –, lire la Déclaration pour la laïcité (Observatoire de la laïcité).
Image : Bloc Marianne, élément du logo de la République française (2020), Wikipédia.